Augmenter les DAF par le jeu ?


Augmenter les DAF par le jeu?

Article paru dans « Finance et Gestion » N°395, Janvier-Février 2022.

En quoi la formation permet-elle à des DAF d’augmenter leurs capacités et leur impact ?

Tel un héros de BD futuriste, le DAF augmenté a-t-il des yeux bioniques pour calculer sans tableur Excel ? Et la DAF augmentée est-elle une déesse à trois bras avec une exo-armure pour aller au combat ?

DAF dans de grands groupes internationaux dans l’énergie et l’industrie (Suez, Rio Tinto Alcan, Solvay…) pendant une vingtaine d’années, j’ai vu la fonction se transformer. De spécialistes des chiffres et de la compliance, les DAF sont devenus Business Partner de toutes les aventures de l’entreprise : croissance, internationalisation, fusions et acquisitions, transformation, crises et restructurations. En plus d’être Business Partner, j’ai toujours aimé discuter avec les commerciaux de terrain, passer du temps dans les usines avec les chefs d’atelier, répondre à leurs questions, leur expliquer l’EBITDA et le ROCE, prenant un vrai plaisir à démystifier la finance. La formation à la finance des non financiers est un vrai levier.

Aujourd’hui entrepreneuse dans la formation et professeur de finance à HEC, je croise des étudiants, des entreprises grandes et petites, des académiques : quels conseils donner aux DAF augmentés du XXIe siècle ?

Du reporting statique à l’analyse prédictive

Votre entreprise est équipée d’un ERP performant. Vous avez traversé les affres de son déploiement. Presque tous les processus de l’entreprise y sont enfin gérés, avec quelques micro-exceptions qui vous irritent parfois, mais ne posent pas de problème majeur. En plus des données hyper structurées de votre ERP, vous avez aussi accès aux informations moins structurées provenant des puces RFID, des transactions financières, des réseaux sociaux…

Que faire des tonnes de data collectées, toujours des reportings mensuels, des analyses d’écart et des beaux graphiques de variance prix et volume ? Comment utiliser cette Big Data pour des analyses prédictives qui vont permettre de mieux cibler les clients, prévoir plus finement la demande, anticiper les ruptures de stock qui pèsent actuellement sur la supply chain, mieux détecter les mauvais payeurs et fiabiliser les prévisions de trésorerie ?

Les outils intelligents, c’est bien, encore faut-il que les équipes se les approprient. La formation de ces contrôleurs de gestion et comptables, toujours en clôture ou en « forecast », est incontournable. Ce sont bien souvent eux qui éteignent la lumière du bureau le soir : ils sont les derniers à partir et depuis le Covid et le télétravail, seuls leurs enfants savent qu’ils passent plus de dix heures par jour devant leur ordinateur.

La formation leur donne un temps pour respirer et prendre du recul ; elle contribue même parfois à les fidéliser. Ils peuvent enfin sortir la tête de l’eau et identifier les sujets vraiment stratégiques et critiques pour l’entreprise, sur lesquels ils doivent concentrer leurs efforts. Après une formation un peu approfondie, ils reviendront vers vous en vous proposant de moderniser ce vieux reporting sans indicateurs prédictifs, de le compléter, ou encore plus audacieux de le remplacer, par un suivi des OKR (« Objectives & Key Results »).

Aller à la rencontre de vos collègues non financiers

Trop souvent j’ai vu les équipes financières dans leur bulle, interagissant fort peu avec leurs collègues opérationnels. Pourtant les décisions clés du business sont prises par les opérationnels. Telle équipe commerciale a si peur de perdre des volumes, qu’elle ne se bat plus pour maintenir les prix, alors que les produits et services sont vraiment supérieurs à ceux des concurrents sur de nombreux aspects. Tel responsable d’usine n’arrive plus à mettre en conformité l’atelier peinture, et se demande s’il faut l’externaliser. Telle patronne de la BU services a un plan de recrutement d’experts pointus pour répondre à des situations particulières, mais elle ne s’est pas demandé combien de jours par an ces experts seront facturés aux clients.

Que font les DAF pour les aider ? Et s’ils leur montraient que la finance n’est pas juste de la comptabilité ou un reporting qui ne s’intéresse qu’au passé.

C’est en m’appuyant sur des business games et des simulations que je suis allée à la rencontre de mes collègues opérationnels. Autour d’un plateau, avec des jetons à déplacer et des cartes, en physique comme en virtuel, les langues se délient, l’esprit s’ouvre. On s’amuse, on s’implique et on apprend. Pas besoin de s’absenter pour une formation longue : en deux jours seulement, j’ai pu leur faire comprendre de façon très concrète la différence entre le profit et le cash, leur donner de nouveaux outils d’analyse, et surtout un nouveau regard plus global sur la performance de l’entreprise.

Le coût d’une formation de deux jours est très modeste par rapport aux enjeux. Je me souviens de cet ex-collègue commercial grand compte responsable d’un business de plus de 100 M€. Par analogie avec un stand de pizza, il a enfin compris qu’il vaut mieux augmenter le prix de 10 % et vendre 10 % de quantités en moins, que l’inverse. Il ne raisonnait que sur sa top line, sans prendre en compte les coûts variables.

À la rencontre de leurs collègues non financiers, les DAF peuvent augmenter leur influence dans l’entreprise et leur impact sur la performance.

Intégrer le prix du carbone dans les décisions d’investissement

Venons-en enfin au sujet qui m’anime le plus, celui de la performance extra-financière. Il n’est plus possible de s’intéresser à l’EBITDA, au ROCE, au ROI, sans prendre en compte le bilan carbone de l’entreprise. Par exemple, si vous avez deux usines, qui ne sont pas à pleine capacité, est-ce opportun de regrouper la fabrication sur un seul site ?

Les DAF ne peuvent plus se contenter d’une analyse des coûts et du chiffrage de l’impact social quand le process consomme beaucoup d’électricité. Surtout si l’un des deux sites est situé dans un pays dont l’électricité est produite principalement avec de l’énergie nucléaire, et l’autre avec du charbon. On est en plein dans le « Scope 2 » du bilan carbone. Comment prendre en compte cette dimension non financière dans l’évaluation des alternatives ? De plus en plus de grandes entreprises introduisent dans leurs modèles de décision, un prix de cession du carbone qu’on appelle aussi « shadow price » qui se situe entre 30 et 100 €/tonne de CO2.

Les COP (Conférences des Parties) qui réunissent les 197 pays signataires de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (UNFCCC) se succèdent tous les ans depuis 1994. Certaines avec de grandes avancées comme Kyoto en 1997 et Paris en 2015. Les rapports du GIEC sur le climat (IPCCC) et de l’IPBES sur la biodiversité nous alertent sur le dépassement des limites planétaires et leurs conséquences irréversibles.

Les effets du réchauffement climatique et de la perte de biodiversité se feront sentir bien après l’horizon de temps habituel des décideurs politiques et économiques qui est de trois à dix ans : comment les encourager à agir ? C’est une « tragédie des horizons » selon Marc Carney, l’ancien Gouverneur de la Banque d’Angleterre, en écho à la « tragédie des communs » pointée en 1968 par le biologiste Garrett Hardin.

Le tsunami règlementaire de l’ESG

Le secteur financier est appelé à financer la décarbonisation et développer la finance verte. Cette prise en compte des critères extra-financiers ou ESG (Environnement, Social, Gouvernance) dans la performance des entreprises est un véritable tsunami règlementaire.

Le reporting RSE est devenu obligatoire en France il y a déjà 20 ans pour les entreprises cotées en bourse. Ses exigences se sont progressivement renforcées pour se conformer à la directive européenne de 2014 sur l’extra-financier (NFRD pour Non-Financial Reporting Directive). Il concerne maintenant toutes les entreprises de plus de 500 salariés (cotées et non cotées), soit environ 4.000 entreprises en France.

Les financiers s’en mêlent de plus en plus… et les terminologies évoluent ! Le reporting RSE devient reporting extra-financier, reporting ESG ou DPEF, un autre acronyme pour la Déclaration de Performance Extra-Financière, qui doit être auditée et publiée sur le site web de l’entreprise. Outil de pilotage stratégique, la DPEF couvre quatre axes : le social, l’environnemental, la lutte contre la corruption et les droits de l’homme.

Chaque entreprise utilisant ses propres indicateurs, il est difficile de faire des comparaisons. Alors, pour renforcer la transparence financière attendue par les parties prenantes, et dans la mouvance de la TFCD (Task Force on Climate Disclosure) – un groupe de travail sur le climat émanant du G20 – l’Europe révise sa directive de 2014. Rebaptisée CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) cette directive sera en vigueur pour toutes les entreprises européennes de plus de 250 salariés ou 40 millions de chiffre d’affaires (soit 50.000 entreprises en Europe) dès 2023. Et l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group) va sortir le volet standardisation des indicateurs.

Tant d’acronymes donnent le tournis. Et il y a beaucoup d’argent en jeu : Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, annonce 1 000 milliards d’Euros de financements privés et publics pour le Green Deal européen.

Pour corser le tout, la taxonomie européenne arrive. Ce référentiel de classement des activités en fonction de leur durabilité environnementale et sociale, va orienter les flux de capitaux. Les entreprises devront isoler la part « durable » de leur chiffre d’affaires, mais aussi de leurs Capex et Opex. Cette obligation concerne les comptes 2021 des entreprises pour le volet climat. Ces exigences de reporting, et la standardisation des labels verts qui va l’accompagner, vont sûrement limiter le « greenwashing » encore trop fréquent.

Alors DAF augmenté(e)s êtes-vous prêt(e)s à vous augmenter encore ? Le business gaming vous y aidera peut-être un jour. En attendant, faites la paire avec votre collègue de la RSE : c’est sur ce terrain que vous attendent les investisseurs.


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